Selon une formule souvent attribuée à tort à Winston Churchill, un optimiste verrait une opportunité dans chaque difficulté, tandis qu’un pessimiste verrait une difficulté dans chaque opportunité.
Cet adage cristallise le fait qu’il est très commun d’opposer optimisme et pessimisme. Selon cette conception, ces deux attitudes se trouveraient aux antipodes l’une de l’autre.
D’un côté, on trouverait des personnes pourvues d’une confiance à toute épreuve, dans l’humanité, le monde et l’avenir, certaines que tout finira par aller pour le mieux. D’un autre côté, on trouverait des personnes profondément méfiantes, persuadées que le pire est à venir, que cela soit sous la forme d’une trahison, d’une catastrophe, voire de la fin des temps.
Cette opposition est corroborée par le fait que lorsqu’un optimiste rencontre un pessimiste, leurs discours respectifs se télescopent généralement de manière brutale.
L’optimiste voit généralement le pessimiste comme une personne désespérée et désespérante. De ce fait, il tente de prouver à son interlocuteur qu’il existe des raisons de garder espoir et de se réjouir de l’avenir.
A l’inverse, le pessimiste voit l’optimiste comme une personne naïve, voire un peu niaise, qui n’a pas encore pris conscience de l’état dramatique du monde qui l’entoure. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le pessimiste dit souvent de lui-même qu’il est en fait réaliste, car contrairement à l’optimiste aveuglé par sa candeur, lui seul serait capable de percevoir objectivement la réalité. C’est la raison pour laquelle le pessimiste essaie généralement d’ouvrir les yeux de l’optimiste sur cette réalité supposée objective.
Un antagonisme de façade
Cet antagonisme paraît tellement couler de source qu’il est entré dans la sagesse populaire et se trouve rarement remis en question. Pourtant, à y regarder de plus près, ces deux postures existentielles que tout semble opposer sont en fait deux variantes extrêmes d’une seule et même posture fondamentale : le fatalisme.
En effet, l’optimiste nous invite à regarder l’avenir avec une confiance sans faille et à considérer que tout ira bien, quoi que nous fassions. Bien sûr nos actions pourront peut-être un peu accélérer le mouvement, voire permettre à ce qui adviendra d’être encore mieux qu’espéré, mais au final l’avènement d’une fin heureuse à toute difficulté ne fait aucun doute.
De même, le pessimiste nous enjoint d’abandonner tout espoir et nous prévient : quoi que nous fassions, le drame, la catastrophe sont inévitables. Là encore, nos actions pourront au mieux atténuer un peu la douleur, mais l’issue tragique quant à elle ne fait aucun doute.
Mais alors si l’optimisme et le pessimisme ne sont en réalité que les deux faces d’une même pièce, à savoir le fatalisme, qu’est-ce qui s’oppose radicalement celui-ci ? Quelle dichotomie plus profonde faut-il proposer qui ne soit pas finalement un continuum dont les extrêmes se rejoignent ?
Fatalisme contre volontarisme
Partant du constat que le fatalisme postule que notre volonté n’a fondamentalement aucune prise sur le réel, ni sur notre existence humaine, le volontarisme en est logiquement l’exact opposé. En effet, si le fataliste s’en remet au destin, le volontariste est quant lui convaincu que sa détermination constitue le moteur essentiel de son existence.
Être volontariste, c’est donc d’abord penser que le meilleur moyen de prédire l’avenir est de l’inventer, selon le fameux adage attribué, à raison cette fois, à Alan Kay. Ce dernier sait de quoi il parle, puisqu’il travaillé de nombreuses années au Xerox PARC, célèbre laboratoire de recherche informatique à Palo Alto, où il a contribué au développement d’un grand nombre des innovations qui font l’informatique d’aujourd’hui.
L’homme raisonnable contre l’homme déraisonnable
Plus généralement, on peut aussi rapprocher l’opposition entre volontarisme et fatalisme de l’antagonisme exprimée par George Bernard Shaw entre l’homme raisonnable, qui s’adapte au monde, et de l’homme déraisonnable qui persiste à vouloir adapter le monde à lui-même. De cet antagonisme, Shaw en conclut que tout progrès est au final le fait d’hommes déraisonnables.
Bien sûr, le volontarisme porte en lui ses propres limites et ne pas les reconnaitre peut conduire à des dérives problématiques, voire catastrophiques. En effet, la négation de toute limite à notre volonté, en particulier des limites imposées par la nature, est la source d’un grand nombre de nos défis aujourd’hui, notamment en termes environnementaux.
On peut néanmoins tenter de réconcilier le volontarisme selon Shaw avec ces défis, en constatant que dans sa vision du monde, typique du 19ème siècle et de la première moitié du 20ème, l’homme est ontologiquement dissocié du reste du monde. Or cette conception est radicalement remise en question aujourd’hui. Nous autres humains ne sommes pas séparés du monde qui nous entoure, en particulier de la nature qui a assuré jusque-là les conditions de notre existence.
Si nous considérons faire partie intégrante du monde qui nous entourent, adapter le monde peut également signifier nous transformer en profondeur, à travers nos modes de production et de consommation, et plus largement nos modes de vie.
On aurait tort en revanche de considérer qu’il s’agit là d’un retour à une forme de fatalisme : subir passivement une situation imposée par la nature ou adapter nos comportements en profondeur pour y faire face procède d’une démarche radicalement différente. En effet, la volonté de transformer en profondeur notre vision du monde et notre mode de vie exige une détermination qui n’a rien de commun avec le fatalisme. Au contraire, l’ambition d’un tel projet requiert non seulement une solide volonté, mais également une certaine dose de folie.
Et en définitive, bien malin qui saura dire si cette ambition est celle d’un homme raisonnable ou celle d’un homme déraisonnable.